« Femmes et hommes et vice versa » / « Nature et culture et cetera » / « Dura tamen saxa… » [Lettre d’information Pontcerq, 8 novembre 2023]

« Elles sont délicieuses, ces femmes dont rêve Jarry, insoumises de candeur définitive, au point de rendre méprisables toutes celles qui, au contraire, par bêtise, intérêt, ou pire, médiocrité, se lovent dans des comportements attendus, répètent les gestes appris et font obstacle de leur féminité abêtie aux plus belles dérives. Elle commence dans cette révolte, la misogynie de Jarry, à la mesure de ce qu’il aurait pu attendre de l’amour comme façon d’accéder à l’absolu, au-delà de toute identité sexuelle quand l’égalité s’invente, pour l’un et l’autre sexe, dans la possibilité amoureuse d’échapper aux rôles, quels qu’ils soient.
    Et cette misogynie a le même fondement poétique que celle de Sade ou Lautréamont, si les rôles sexuels, pour peu qu’on les reconnaisse, empêchent de jamais donner corps à ce désir insensé d’égalité, ouvrant pour les amants à une liberté de dérive au-delà d’eux-mêmes qui ne va plus cesser d’emporter Ellen et Marcueil après leur première étreinte. Plus rien de fixe, comme dans la poésie, ne détermine alors le paysage amoureux, pas plus le masculin que le féminin, dès lors que l’un peut devenir l’autre et dès lors que l’un et l’autre peuvent devenir autres.
  “L’Indien se pâma à diverses reprises, passif tantôt comme un homme, tantôt comme une femme…
  À coup sûr c’était là la réalisation de ce qu’entendait Théophraste par : ‘Et plus.’ ” »

Annie Le Brun, « Comme c’est petit un éléphant ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1) P comme Préfet.

Le festival engagé et intersectionnel « Dangereuses lectrices », sur la « colère », remercie ses partenaires : Le Préfet, La Région, Le Département, La Ville. C’est [ici].

« (La) Colère, nom féminin : du latin “choléra”, la bile. […] Avec la libération de la parole vient la libération de la colère. Nous ne voulons plus rester à la place qui nous a été assignée et nous sommes prêt·es à reprendre le contrôle de notre colère en la faisant rugir. C’est ce que nous espérons faire pendant les deux jours du festival. »

« Le festival Dangereuses Lectrices est résolument féministe, et croit en l’écriture et la lecture comme deux activités fondamentalement émancipatrices pour tou·tes. Le festival porte également une revendication à l’intersectionnalité des luttes et aura donc une attention toute particulière à ce que les personnes LGBTQIA+, racisées, handicapées, économiquement défavorisées soient représentées, tant dans sa programmation qu’au travers d’une politique d’accès adaptée. » (https://dangereuseslectrices.org/le-festival)

 

2) P comme Pascal.

Des réponses ont été faites à notre première « provinciale » parue en juin sous le titre De Monsieur Rey, pédagogue (texte téléchargeable [ici]).
Voici une réponse à ces réponses, intitulée « Extraits de lettres sur les sciences de l’éducation, à un ami qui enseigne en province ». (Voir [ici].)

« Vous ne pensiez pas que personne eût la curiosité de savoir qui nous sommes ; cependant il y a des gens qui essayent de le deviner, mais ils rencontrent mal. Les uns nous prennent pour des docteurs de Sorbonne ; les autres attribuent nos lettres à quatre ou cinq personnes, qui, comme nous, ne sont ni prêtres ni ecclésiastiques. Tous ces soupçons nous font connaître que nous n’avons pas mal réussi dans le dessein que nous avons eu de n’être connus que de vous, et du bon Père qui souffre toujours nos visites, et dont nous souffrons toujours les discours, quoique avec bien de la peine. » (Pascal)

IMG_0126Berlin-Neukölln, Emser Strasse, mai 2023.

 

3) M comme MICHON. Les opérations d’arrachage et nettoiement (SIEMENS) se poursuivent dans les bibliothèques universitaires de Berlin (raisons données, si besoin, [ici] – paragraphe 3). Comme les équipes de nettoyage arrivent aux cotes « M », nous tenions à saluer Michon en passant. (« Le grand trident, qui donne à celui qui le possède l’empire des Beune, il ne me le montra pas. » La petite Beune, p. 86)

IMG_1459Berlin-Mitte, Dorotheenstrasse, Université Humboldt, Bibliothèque, septembre 2023.

 

4) M comme Musset. « Mais il est certain que tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre ; et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux. » (Musset, La Confession d’un enfant du siècle)

 

5) M comme Miró

« L’Oiseau solaire change d’identité de façon très perceptible lorsqu’on change de point de vue, mais propose également au moins deux ou trois identités vu sous n’importe quel angle unique. De tel ou tel endroit, il est tantôt un éléphant qui charge, un phoque, un bateau, un cheval, une moto, une tortue qui nage, une bête de somme, une sorte de figure crucifiée et une femme sur le dos. Le croissant en haut qui représente les ailes pourrait être aussi bien des seins qu’un guidon pour l’homme qui chevauche. (…) L’Oiseau solaire pourrait être en effet le prototype de ce troisième sexe humain qu’un monde assouvi semble aspirer à découvrir. Les boutons sur les côtés – les yeux de l’oiseau – pourraient être les moignons des bras de la femme, mais aussi ses seins, auquel cas les ailes seraient ses bras étendus pour embrasser (…). L’Oiseau lunaire surgit, avec sa libido effrénée, et s’élève au-dessus du genre humain. Arrogant et hostile, il est couronné par un grand croissant comme celui qui se trouve sur le dos de l’autre oiseau ; mais (…) il est inaccessible, il devient l’emblème de la domination. Il est insolent, brutal, tumescent, et on imagine des femmes avides se précipitant sur cette grande pointe qui se dresse devant lui. Tant que l’on est de face. Car de côté, cette grosse chose projetée est une pathétique langue d’oiseau, tandis que les yeux monstrueux et les ailes menaçantes sont tristes, comme ceux d’un oisillon affamé. » (David Sylvester, cité par Riewert Ehrich, Miró und Jarry, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2005, p. 33-34)

 

6) Rubrique continuée. « Au sujet du dépassement contemporain de l’opposition nature/culture ». Épisode 1/X : LE CHIMPOMATE ET L’ARGENT NON-HUMAIN.

« Nous citerons pour finir un essai qui conduisit quelques chercheurs américains (Yerkes, Wolfe, Cowjes) à conclure que les chimpanzés sont capables d’avoir un comportement symbolique. On enseigna aux animaux à employer des disques ronds de 4 centimètres de diamètre comme tickets de nourriture. S’ils les mettaient dans la fente d’un automate, d’un “chimpomate”, celui-ci leur délivrait une ou plusieurs grappes de raisin. On pensa que les tickets devenaient ainsi symboles (signes indicateurs) de nourriture. On réussit également à amener les chimpanzés à commencer par acquérir plusieurs tickets au moyen d’un appareil de travail (Arbeitsapparat) pour échanger ensuite ces tickets au “chimpomate” contre de la nourriture. Si 10 ou 30 tickets étaient nécessaires pour recevoir de l’automate l’aliment convoité, les animaux travaillaient pour acquérir beaucoup de tickets. Bientôt ils apprirent à distinguer à leur couleur les monnaies “bonnes” des monnaies sans valeur et à préférer les premières. De plus en plus les tickets de nourriture prirent la signification d’une récompense. Aussi purent-ils être utilisés comme mobiles d’action. On a pu s’en servir pour stimuler leur zèle à se soumettre aux diverses expériences impliquant un choix. » (Buytendijk, L’Homme et l’animal. Essai de psychologie comparée, trad. de l’allemand par Rémi Laureillard, Gallimard, NRF, 1965 [orig. Hambourg, 1958], p. 172)

On chérit par-dessus tout de nos jours les exemples d’exploits de non-humains parvenant à faire des choses humaines (l’amour inutilement, des œuvres d’art, des outils, etc.). L’exemple avancé par Buytendijk ici ne prouve-t-il pas lui aussi (après tant d’autres) que dire que l’homme et l’animal diffèrent est faux (est arrogant) (est cartésien) ? Puisque le chimpanzé est tout à fait en mesure de travailler lui aussi, de toucher son salaire, et d’aller au chimpomate quand il en a envie ?

Mais, bienveillante lectrice ou lecteur, attention ! Quelle conclusion crois-tu que Buytendijk le Hollandais tire du passage que tu viens de lire ? Qu’il n’y a pas de différence entre homme et chimpanzé – ou au contraire qu’il y en a une un peu cruciale ? (La réponse sera donnée dans la prochaine newsletter, à la « Rubrique continuée » : « Au sujet du dépassement contemporain de l’opposition nature/culture, épisode 2/X : Réponse à l’énigme-rätsel de la dernière fois ».)

 

7) R comme Rachilde. (Monsieur Vénus)

« Ils riaient tous les deux, mais ils s’unissaient de plus en plus dans une pensée commune : la destruction de leur sexe. » (Rachilde, Monsieur Vénus [1884], rééd. Gallimard, p. 97) / « – Mademoiselle, pardonnez-moi. J’oubliais le Homo sum de Messaline ! » (p. 74) / « – Je suis jaloux ! rugit-elle affolée. As-tu compris à présent ?… » (p. 85)

 

8) Rubrique « Canopé et sa canothèque » [2/X].

Après que Nathanaël Wallenhorst, avec le sandwich, a remporté un si franc succès dans la newsletter précédente (voir [ici], paragraphe 2), nombreux sont celles et ceux qui parmi vous ont réclamé la diffusion immédiate d’un second film. Nous proposons ce court-métrage, La Posture d’autorité (7minutes07), avec Michel Tiercelin et Jean Gévaudart dans les rôles principaux. (Le film a été tourné dans les locaux d’une bibliothèque de prêt, à Rennes-Villejean). C’est à voir [ici].

Michel Tiercelin, ancien militant, qui a infiltré Canopé fin 2021 (à la faveur du covid) et est parvenu à s’y faire passer pour un scientifique de l’éducation reconnu, joue ici le rôle de Jean Duvillard. Jean Gévaudart, quant à lui, joue le rôle de plusieurs enseignant·e·s, dans des situations variées de classe.

(Nota bene : Michel Tiercelin a cessé de communiquer avec son groupe politique d’origine en juin 2022 : il semble qu’il ait fini par se croire vraiment scientifique de l’éducation ; son groupe ne l’a jamais revu.)

 

Quid magis est saxo durum, quid mollius unda?
Dura tamen saxa *…

 

Pontcerq,
8 novembre 2023

* Ov., ArsAmat., I., v. 475-476.