Utirlité d’Alfred Jarry / Nature-Culture / Crock [Lettre d’information Pontcerq, 11 octobre 2023]

« Ou comme la tête du paon, mieux hésitante que celle de la couleuvre, parce qu’une aigrette de verre filé, à la mesure amplifiée de son amplitude, en enregistre le tremblement. »

Jarry,  Am. abs.

 

 

 

 

 

1) Pontcerq, en ce 29 septembre 2023, publiait sur vieux murs à Laval « JARRY 34 ANS ! », affichage éclaté.

L’ensemble de l’affichage, en six volets, peut être téléchargé [ici].

N. B. – Le volet qui s’en prend (vertement) aux commémorations officielles à Laval « JARRY 150 ANS ! » est le volet 6.
– Le volet 4, pour les Lavallois, propose une montée depuis la maison natale, sur les quais (Trochon avait sa boutique de cycles tout près de là), via le roquet du Palais jusqu’à la place de la Trémoille (place de la guillotine), puis passage sous les fenêtres du troisième étage, rue Charles Landelle (l’appartement sous les toits, avec vue sur la cathédrale), jusqu’au Lycée de garçons.
– Le volet 3 est pour l’instant absent. Il est à produire. C’est que « JARRY 34 ANS ! », par la force des choses, aura plus d’endurance – et nécessairement plus de durée – que « JARRY 150 ANS ! ». (Aeternitatis lex.)
– La Tapisserie des Crocs a été produite à partir d’un motif pris au manoir d’Ango (Normandie).

Collage-Jarry-Rennes-sept2023-4

Les collages vont se poursuivre ici et là pendant les semaines qui viennent, à Laval, Saint-Brieuc et Rennes. Les journalistes d’Ouest-France chargés de l’art et de la littérature, s’il en est, en rendront compte, avidement. Dans le cas contraire, ils n’en rendront pas compte.

 

2) Rubrique continuée. « Au sujet du dépassement contemporain de l’opposition nature/culture ». Épisode 0/X. [ Nouveauté ]

N. B. La lettre d’information Pontcerq (comprise comme bavardage, depuis six ou sept ans) proposera dans les semaines et mois qui viennent une rubrique continuée, intitulée « Au sujet du dépassement contemporain de l’opposition nature/culture ». Ce qui suit en est l’épisode 0.

L’épisode est constitué d’une interview mise en ligne par Canopé et sa Canothèque (série « Parole d’expert »). « Dans cette interview, Nathanaël Wallenhorst, maître de conférences à l’université catholique de l’Ouest (UCO) [sans doute en philosophie ou anthropologie ; le site ne le précise pas], propose de repenser le rapport de l’humain avec la nature. » L’interview peut être vue ici : https://www.canotech.fr/a/34064/le-role-de-lecole-dans-lappropriation-dun-nouveau-rapport-au-vivant. Nous en retranscrivons l’essentiel ci-dessous :

NATHANAËL WALLENHORST. – Au cours de la modernité, on s’est pensé vraiment par différenciation de la nature : il y a les humains (et la vie humaine, en société) ; et c’est différent de la nature. Donc, on a un grand couple notionnel « nature/culture » ou « nature/société », qui est pensé comme fonctionnant de façon oppositionnelle, différenciée. Alors, ce qu’il faut voir, maintenant, c’est que, plus on avance (déjà à la fin du XXe siècle, et puis au cours de ce début du XXIe siècle), plus on se rend compte que tout cela s’est fondé sur des erreurs – sur quelque chose en tout cas qui pose problème dans cette supériorité, et cette différenciation de la vie humaine d’avec tout ce qui n’est pas humain : le non-humain – qu’on a appelé « la nature », et que de plus en plus on nomme « le vivant ». […] On va prendre un exemple très simple, à partir de l’alimentation et de la respiration : on est en permanence en train d’échanger – et quelque chose en nous circule avec le non-humain, qui nous permet, à un moment donné, de rester en vie. Les limites actuelles que l’on constate dans ce dualisme nature/culture, ça va quand même assez loin, parce que, derrière, ce sont les frontières de l’humain qui sont reconfigurées, repensées, réorganisées… Disons qu’il y a du trouble dans la définition de l’humain aujourd’hui. Admettons que [je] mange un sandwich et qu’en mangeant le sandwich, j’intègre des atomes de carbone… Et puis après, je respire, je suis en vie, donc je partage du dioxygène avec du dioxyde de carbone. Et puis, l’atome de carbone, à un moment donné, il participe de la constitution chimique de l’atmosphère : il y a du CO2, que j’émets… Et puis, il se trouve que cet atome de carbone, au cours de sa vie, de ses nombreuses vies trépidantes (sourire), eh bien il sédimente sous la forme d’un grain de sable. Alors, moi je suis qui ? Je suis le sandwich… ? Je suis moi, là, voilà (se désignant)… ? Je suis la composition chimique de l’atmosphère ? Ou est-ce que je suis le grain de sable ? Et on voit bien que, de fait, la réponse n’est pas si simple et, à cet endroit, on voit bien qu’on ne peut pas appréhender l’humain, on ne peut pas nous penser nous-mêmes, indépendamment de cette grande circulation de laquelle on participe. [0:30-3:17] [Virgule musicale] [Intertitre : « Comment les savoirs bioclimatiques modifient ce rapport au vivant ? »] Alors, aujourd’hui, pour penser notre rapport au vivant, on a besoin d’une médiation. Et, cette médiation, c’est la médiation scientifique. On a affaire à des décennies particulièrement intenses de formalisation d’un consensus scientifique, pluridisciplinaire et international, tant sur le climat que sur la biodiversité. On peut même parler de « savoir bioclimatique », dont la synthèse est produite, bien évidemment, par le GIEC (dont on entend parler régulièrement), mais aussi par l’IPBES qui est une plateforme intergouvernementale, pour formaliser un consensus autour des savoirs relatifs à la biodiversité […]. [3:18-3:50] […] [O]n a tout un tas d’organisations, d’instances, etc., qui ont préparé des petits résumés, particulièrement bien écrits, en français : des pédagogues les ont travaillés, malaxés – pour que ces savoirs-là soient accessibles… L’Office for Climate Education […] a fait différentes choses particulièrement accessibles ; ou les « Saventuriers » [?], aussi, qui ont proposé différentes fiches pédagogiques […]. [4:12-4:45]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fait qu’une telle thèse (la nécessité de se débarrasser de la distinction nature/culture) soit ainsi reprise idéologiquement, et relayée péremptoirement au sein de ce dispositif d’encadrement pédagogique externalisé et gouvernemental qu’est Canopé (au sujet de Canopé comme instance de pilotage extra-disciplinaire des contenus d’enseignement, voir : De la faiblesse de l’esprit critique envisagé comme compétence, Pontcerq, 2022, p. 63-68), et cela aussi rapidement, aussi spontanément, et sous la forme explicite d’une recherche de consensus, ne suffit évidemment pas du tout à l’invalider philosophiquement. Il permet seulement de constater avec quoi cette thèse est parfaitement compatible : avec la pédagogie contemporaine. (Il s’agira notamment, dans les épisodes à venir, d’essayer de donner des raisons à cette compatibilité ; et, plus généralement, à la spontanéité du consensus que cette thèse produit autour d’elle.)

 

3) Notes sur les Crocks (W. Benjamin). Dans les protocoles de W. Benjamin sur ses consommations de drogues, on trouve cinq pages en allemand intitulées « Crocknotizen » (GS VI, p. 603-607) : « Le mot Crock n’existe pas en allemand, il a dû rester énigmatique pour les lecteurs de Benjamin [i. e. ceux de l’édition de Rexroth en 1972]. En fait, il s’agit d’une forme légèrement germanisée du français “croc” (en allemand der Haken). Mais le sens que nous lui donnâmes, à la vérité, n’avait rien à voir : c’était une expression à la fois absurde et secrète par laquelle nous désignions l’opium. Des amis, qui en fumaient, avaient inventé l’expression ; je la leur avais reprise et l’avais transmise à Benjamin. Nous ne connaissions pas l’origine de cet usage singulier du terme. On peut penser qu’il provenait d’une sympathie pour le vocabulaire humoristique du Père Ubu (dans Ubu Roi d’Alfred Jarry), lequel parle souvent de son “croc à phynances”. L’orthographe dont se sert Benjamin correspond exactement à notre prononciation du mot (en français le c à la fin de croc est muet). – Le mot “fête” (p. 605, 10), qui dans les Crocknotizen est utilisé en français, appartenait lui aussi à notre langue spéciale : il ne désignait pas du tout une fête, mais seulement les séances au cours desquelles nous faisions usage du “crock”. » (Jean Selz, cité in Walter Benjamin, GS VI, p. 824, n. t.)

 

Relata refero…

Pontcerq,
11 octobre 2023